Anarchie Administrateur
Nombre de messages : 944 Age : 45 Localisation : 93800 - Epinay sur seine Orientation politique : Anarchisme Scientifique, littéraire ou autres : : Scientifique Date d'inscription : 20/07/2007
| Sujet: Les "JAUNES" Mer 1 Aoû 2007 - 12:28 | |
| Amara, Bockel, Jouyet, Kouchner : Essai de réflexion sur « les jaunes »
Il y a toujours eu des « jaunes » c’est-à-dire des individus ou « syndicats » opposés aux conflits de classe et conciliants avec le patronat. Ce sont ceux qui appellent à ne pas faire grève lorsque la majorité des autres syndicats y appellent ou signent des accords de branche auxquels la majorité des syndicats sont opposés. Individuellement, un « jaune » peut aussi désigner un travailleur engagé par un patron pour briser une grève. Ce terme vient du mouvement créé par Pierre Biétry le 1er avril 1902, la « Fédération Nationale des Jaunes de France », un syndicat anti socialiste. Pour les grévistes, les jaunes étaient donc devenus les « non-grévistes ». Selon Biétry lui-même, dans “Le socialisme et les jaunes”, son but était de «réaliser la renaissance nationale en créant la réconciliation des classes sur un programme de justice sociale». Dans les faits, ce mouvement s'est opposé vigoureusement au mouvement socialiste. Il était soutenu par les nationalistes qui pensaient tenir là une force nouvelle capable de faire face à la gauche notamment de grands industriels, le duc d'Orléans ou la duchesse d'Uzès. A cause de cela, le qualitatif de « jaune » s'est généralisé et a désigné généralement les « traîtres ». Il y a eu les « néos » qui sont devenus néo-nazis après s’être réclamés du communisme ou du socialisme, mais sans que cela les excusent d’aucune façon, c’était sous une pression historique forte et avec un semblant de théorie justificatrice. Le terme de « jaunes » n’a pas toujours été utilisé à bon escient, car parfois, des gauchistes, des sectaires, des désespérés eux-mêmes, impatients, maladroits, traitaient de « jaunes » certaines catégories de salariés, qui, n’ayant pas les moyens de faire grève ou n’étant pas convaincus par la nécessité ou la forme de l’action, ne participaient pas au mouvement d’ensemble. Cela représentait dans ces cas-là, une déchirure dans le mouvement social, une terrible souffrance, une division amère, un affaiblissement des chances de réussite pour ceux qui, eux, luttaient et se sacrifiaient pour les revendications communes. Souvent les grévistes qui avaient perdu des salaires lors des jours de grèves mais gagné des augmentations, faisaient valoir qu’ils avaient lutté aussi pour ceux n’avaient pas fait grève et en bénéficiaient. Au fond, les « jaunes » étaient ceux qui me mettaient pas d’abord en avant l’intérêt général de leur classe sociale, parfois sans connaître ou comprendre leur propre intérêt réel. La littérature, de Zola à London, hier et aujourd’hui, dans tous les pays a décrit abondamment les drames des luttes sociales et celui des « jaunes ».
Ce qui n’est pas arrivé souvent, jusque-là, sous cette forme, mis à part la période historique des « néos » puis de la « Collaboration » pendant l’Occupation nazie, c’est que des gens de gauche de vieille date, en l’occurrence socialiste, pas pauvres, pas affamés, deviennent, à froid, sans obligation sociale, des « jaunes » sans y être forcés, sans excuse d’ignorance, de souffrance, sans processus d’explication, sans théoriser intellectuellement leur changement, parfois même en le niant, en le revendiquant, passent au camp adverse, ou, pour être imagés, au Duc d’Orléans et à la duchesse d’Uzes. (disons au Baron Seilliére).
Alors que la fracture sociale est nette, qu’il y a 7 millions de travailleurs pauvres, 4 millions de chômeurs, 15 % d’actifs précaires, des régressions en matière de santé, d’école, d’équipements, d’environnement, de vieillissement, d’explosions sociales dans les banlieues, d’un côté. Tandis que de l’autre côté, jamais la France n’a été aussi riche, il y a 378 000 millionnaires en euros, les 500 premières fortunes ont gagné 30 milliards d’euros de plus, les entreprises du CAC 40 empochent 100 milliards d’euros de bénéfices, les profits siphonnent à leur avantage 160 milliards d’euros aux salaires, il y a des gens qui passent de l’autre camp. Comme ils ne l’expliquent pas, comme c’est soudain et rapide, comme c’est à la suite d’une victoire du camp qu’ils ont pourtant combattu, ils ne bénéficient pas des excuses de la conviction mûrie, des révisions déchirantes et intimes, de l’urgence personnelle, des causes à défendre : ils prétendent même tranquillement les défendre, ces causes, en allant dans l’autre camp, dans le camp politique capitaliste qui a produit la fracture sociale.
Ce qui vient d’arriver, là en France, est sans doute plus rare et mérite d’être étudié, c’est une forme de « jaunes » à l’état pur, si on peut le dire ainsi, une catégorie de « traîtres parfaits ». Ceux dont on ne voit pas d’autre raison à la trahison, que le confort, l’avantage personnel. Ceux qui ne peuvent invoquer aucun principe, aucune excuse, aucune atténuation : ce n’est pas pour sauver leur famille de la faim, pour éviter de perdre un « boulot », parce qu’ils ne sont pas convaincus de l’opportunité d’une grève, non, ils deviennent, même pas les supplétifs, mais les participants actifs de la politique qu’ils combattaient avant dans le camp qui était le leur. Ils nient à la fois qu’ils aient fait partie de ce camp, et qu’ils en aient changé, qu’ils ne défendent plus les mêmes idées, refusent d’entendre que leurs sœurs et frères de combat antérieurs soient choqués, bafoués, trahis. Ils y vont, dans cette société médiatique, le sourire aux lèvres devant les caméras, devant la France entière, « traîtres » assumés : traîtres sur le droit de grève qui va être limité, traîtres sur le Code du travail qui va être démantelé, traîtres sur les 35 h qui vont être annihilées, traîtres sur les retraites qui vont passer à 65 et 67 ans, 41 ou 42 annuités, traîtres sur les énormes cadeaux fiscaux qui vont être donnés aux 16 000 familles les plus riches, traîtres tranquilles sur la défense de l’immigration, même quand ils sont d’origine immigrée, traîtres sur les droits démocratiques quand ils s’allient avec des communautaristes, corporatistes, et même des intégristes si l’on voit le cas de Fadela Amara bras-dessus, bras-dessous avec Christine Boutin. C’est quand même exceptionnel, ce sont des” jaunes” qui non seulement ne font pas grève, mais ils vont avec le patron pour organiser la limitation du droit de grève de leurs anciens amis, proches, compagnons, frères et sœurs de classe.
On ne sait pas grand chose de leur idéologie de fond, tellement elle est faiblement articulée, exprimée. Il y a sans doute classiquement du nationalisme, comme toujours, là-dedans, si on creuse. Ils pensent sans doute que la nation est plus importante que les classes. Ces « traîtres » venus de gauche, croient que c’est la prospérité de l’économie nationale prise comme un tout qui signifie le bonheur matériel de tous en dépit de la souffrance de ceux dont ils étaient issus ou qu’ils représentaient auparavant fait. Les capitalistes, de leur côté, les acceptent pour démontrer à tous que le bonheur et la satisfaction des salariés exploités sont la condition de l’existence et du développement de leur propre prospérité économique. C'est une vision du monde qui place travail et capital, ouvriers et patrons à égalité devant l'entité qui les unit, la nation. C'est pourquoi, sans doute, cela doit venir du rejet de la lutte des classes au bénéfice du concept de l'union des classes ce qui facilite à ces « traîtres purs » de franchir facilement ce qui pour eux n’est pas une « barrière » entre les classes, entre le camp des exploiteurs et celui des exploités, entre riches et pauvres, entre la gauche et la droite.
Comment, pour reprendre ce triste cas, associée à Christine Boutin, Fadela Amara peut-elle arriver à faire mine de croire qu'elle va apaiser les banlieues avec un budget, une orientation de développement du chômage, de blocage des salaires, de destruction de la dignité des salariés au travail ? Comment le dirigeant de Sos-racisme peut il lui souhaiter "bonne chance" dans ses nouvelles tâches ? Comment des "responsables" militants, en vue, peuvent-ils s'abaisser à franchir si allègrement les frontières entre la droite la plus brutale qui est annoncée et la gauche ? Ils n’ont pas la moindre conscience de classe face au Medef qui se réjouit ? N'ont ils rien lu, rien entendu, où l'attrait de la "soupe » corruptrice l'emporte t il à ce point ? Sans aucun doute, vu la faiblesse des justifications connues, les avantages matériels, retirés de la trahison sont-ils vraiment plus forts que le raisonnement intellectuel. Il faudra y revenir parce que nous, aussi fidèles aux salariés que la droite est fidèle au patronat, avons besoin d’identifier minutieusement cette nouvelle et spectaculaire forme de traîtrise-là, afin de bien la dénoncer, pour tenter d’en vacciner notre jeunesse. Il y a des moments où il faut prendre le temps de faire la honte aux jaunes, surtout à ceux-là, des traîtres purs, des corrompus sans excuses, des mondains sans principes, sans repères.
Gérard Filoche, mercredi 20 juin 2007 | |
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