Rien ne sera plus comme avant: le 6 septembre prochain sort enfin en pressage français, en DVD, la plus grande série de l’histoire moderne du petit écran, Twin Peaks. Ou comment David Lynch, d’une idée simple comme la lune, transforma le petit écran en obscur fantasme.
On ne sait plus très bien à quel moment on a commencé à grandir avec
Twin Peaks, mais on sait que depuis, on n’a jamais cessé d’avoir peur. On sait que depuis, une incessante question nous hante toujours, et encore, et bien des cauchemars plus tard : qui a tué Laura Palmer ? On se souvient avoir veillé parfois tard sur la Cinq (you la cinq) de Berlusconi, pour choper les improbables et mouvants horaires de diffusion de cette série étrange, trouble, mais immédiatement fascinante. Le genre de prédateur qui vous happe d’un coup d’un seul, d’une mâchoire claquée, pour ne plus vous lâcher qu’en petits morceaux, sanguinolents, gluants, sombres et inidentifiables. On ne sait plus très bien quand tout cela a commencé, mais ce n’était pas un soir où, fatigué, on cherchait un raccourci qu’on ne trouva jamais. Non, c’était autre chose, mais tout, soudain, parut quand même envahi par une drôle de musique.
Celle d’Angelo Badalamenti, qui officiera par la suite sur la plupart des autres chef-œuvres du grand Lynch, réalisateur hirsute au cerveau encombré de poils et de cheveux, de chevaux et de nains, de dames et de bûches, de tartes et de petits soldats de plomb. D’Indiens, aussi, ou de grandes personnes, pas si grandes que cela, un peu fêlées, beaucoup même, trop pour que l’on puisse, avec discernement, identifier leurs troubles. Donc, il y avait cette musique, d’abord, ou plutôt, non. D’abord il y avait, c’est bien possible aussi comme cela, une voie de chemin de fer, une jeune fille, en lambeaux, qui erre dessus, marchant à l’hésitation, sans trop savoir où mettre ses pieds, nus, manifestement entaillés, ensanglantés, blessés et douloureux. Une jeune fille qui a subi d’horribles choses, on le devine à la peur qui suinte de tout son corps, ou ce qu’il en reste. C’était cela, d’emblée,
Twin Peaks, une sensation d’horreur, d’horreur pas loin, proche, palpable, mais encore invisible, encore inatteignable. Un climat, une ambiance. Tout ce qui fera, par la suite, la force, encore et toujours renouvelée, du cinéma de Lynch, fantasmagorique, esthétique et crade, tout à la fois.
Twin Peaks sentait le pin, les ploucs et le bois. La grange et la ferme. Le monde et sa frontière. Le connu et l’inconnu. Le visible et le reste. Ce reste qu’on se plaît à imaginer, mais dans lequel, à cause de Bob, on ne désirerait jamais, pour rien au monde, passer plus d’une minute.
Avant
Twin Peaks, c’était quoi les séries majeures ?
Dallas ? Dynastie ? Pas loin. Très loin en fait. D’un château l’autre, Lynch nous fait basculer dans un autre monde, le sien. Pantagruélique pandémonium. Des flammes, des rideaux rouges, des mainates, des jolies filles, des hommes de petite taille, et puis un enquêteur du FBI, l’agent Dale Cooper, trop porté sur les pâtisseries pour être honnête. Honnête pourtant, et méticuleux, tatillon. Un Columbo fantasy, plus jeune, plus lisse, plus cinglé. L’enquête, du coup, progresse par à-coups, mais peu importe. L’important c’est que la piste soit remontée, en zigzags, en évitements, en tournants, en retournements, l’important c’est d’isoler le spectateur, de lui donner comme seule envie celle de s’enfuir, peut-être, ou de rester, à ses risques et périls.
Laura Palmer, jeune et jolie, est morte, donc. Horriblement morte. Comme on peut l’être quand autour de vous, dans votre petite ville immense comme un village de Vologne, tout le monde ment, dissimule, se cache ou se tait. Laura Palmer n’est plus et, nous, nous ne sommes déjà plus les mêmes. Tout commence. Et ne s’arrêtera jamais. Les langues se délient, mais pour persifler, les persiflages embrouillent, les mensonges saillent, les fausses pistes s’accumulent et
Twin Peaks devient peu à peu l’axe du mal, ou pas loin. Soudain le vent qui remue les hautes cimes des pins révèle un dur parfum de mort, de ténèbres et de tourments. On respire le sang, on devine le pire. Et le pire est là. Une entité, Bob, une rêverie peut-être, une personnification de quelque esprit tordu. Ou quelque démon. Quelque dédoublement. Les eaux sont troubles, difficile d’y nager, difficile de ne pas perdre pied. Le mystère, comme d’habitude chez Lynch, s’épaissit. Plus on avance, moins on y voit clair. L’histoire danse, s’agite, s’affole, prend des allures de foire aux atrocités, et on reste scotché. Scotché devant la beauté des paysages, et des actrices, devant l’immensité du calvaire de Laura, devant la violence ancienne de cette mort qui l’a happée.
Avec son compère Mark Frost, Lynch va s’ingénier à brouiller les pistes. A chaque épisode, ou presque, son rythme, ses prises de vue, sa syntaxe. A chaque plan sa vérité, indéchiffrable.
Twin Peaks devient alors un jeu, objet de tous les fantasmes, de tous les délires. Beaucoup essaient de découvrir qui est Bob avant l’assaut final, avant la vérité. Certains y arrivent, ou croient y arriver. Mais le sort en décide autrement. Il y a des indices partout, nous dit-on, mais ces indices réclament d’autres indices pour être déchiffrés. On ne s’y retrouve à force plus du tout, et, comme souvent chez Lynch, l’objet d’image devient alors un pur moment de poésie, une ode, un chant, une prière ou une incantation. Les images n’en sont plus, la série elle-même n’est peut-être plus une série. Autre chose. Un objet, une pierre, un doute. Un monolithe, comme ça, dressé en plein Paf, rien autour, quelques primates tout au plus. Un totem, pourquoi pas, en tout cas sans hésitation la clé de l’œuvre de Lynch, sa pierre angulaire. Tout
Mullholand, tout
Lost Highway est dans
Twin Peaks. Et ce n’est pas peu dire ! Toutes nos torpeurs aussi, toutes nos angoisses, ou une grande partie.
Certains n’y comprendront rien. C’est ainsi parfois, on ne comprend pas. Ce qui s’est passé. On ne se l’explique pas. Ca c’est passé, c’est tout. C’est cela, aussi
Twin Peaks, quelque chose qui s’est passé, au tout début des années 90, à la télévision française. Un événement, comme on dit. Une œuvre culte. Un peu de l’histoire du monde et de ses hurlements qui la nuit se font entendre.
Le silence qui succède à ces hurlements, ces cris d’effroi, c’est encore du David Lynch. C’est toujours
Twin Peaks. C’est à jamais Laura Palmer.
source : http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=28143
Depuis le temps que j'attendais ca!!!!